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Pièce 13438

PRÉSENTATION

Type

Pièce

Titre

Petit oeuvre bucolique presenté à mondict Seigneur le Daulphin

Incipit

Heureux bergers qui estes en l'umbrage

Langue

Français

Genre

Eglogue (Vers)

Commentaire

Le texte évoque un séjour à Anet suivi d'un voyage de la cour en Normandie, événements datables de mars et avril 1544 (voir l'itinéraire de la Cour de France en 1544). L'églogue est donc composée entre ces dates et la publication de l'édition princeps, en 1545. François Habert, qui s'exprime en première personne dans ce poème, nous indique avoir été malade au printemps 1544 et contraint de rentrer à Paris, au lieu de suivre la cour.

Dans le dispositif bucolique et mythologique de la pièce, les figures de Diane de Poitiers et de Pallas sont fréquemment superposées. 

Statut fiche

Terminé


TRANSCRIPTION SCRIPTA MANENT

❧ Petit œuvre bucolique presenté à mondict Seigneur le Daulphin

Heureux bergers qui estes en l’umbrage,
Oyez un peu le mien pelerinage
Où j’ay esté ceste saison passée,
Pour donner joye à ma triste pensée.
Doncques chascun de vous soit adonné
D’oyr le chant du Pasteur fortuné.
Lors que l’Hyver trop froid et pluvieux
Fut surmonté du Printemps gracieux,
Esmeu d’un cueur tranquile, qui m’inspire
De m’exposer au doulx vent de Zephyre :
Je proposay, après longue souffrance,
D’aller chercher le grand Berger de France,
Qui dessoubz luy en Paix et sans dangers
Des Loups cruelz, tient maintz nobles Bergers :
Et s’il convient que la raison tu saches
De mon depart : je n’avoys plus de Vaches,
Beufz, ne Moutons, pour du gouvernement
De mes troupeaux, prendre nourrissement ;
Temps opportun plus ne m’estoit baillé
D’avoir du Laict, ou Fourmage caillé
Pour l’entretien du povre labourage.
Ce qui esmeut tellement mon courage,
Que la maison j’abandonne grand erre,
Pour m’en aller en plus estrange terre,
Et rencontrer Berger pour le servir,
Et en servant quelque bien desservir.
A ce depart mes fideles amys
Pour la conduite en oubly ne m’ont mys :
Car de leur bien assez m’ont departi,
Pour aspirer au but de mon parti,
Que j’esperoys, si la fortune adverse
N’eust empesché la fin de mon addresse.
En ce vouloir sans cesser je chemine,
Et en mon cueur je propose et rumine
Le lieu certain pour rencontrer la voye
Du grand Berger que tant requis j’avoye.
Pour le trouver, je m’enquiers des passages,
Si on l’avoit rencontré aux boucages
Chassant aux boys par naturel plaisir,
Ou s’il estoit en chasteau de loysir.
Pour le trouver, quand ainsi je labeure,
Je vien au lieu où il faict sa demeure,
Non pas tousjours : car pour le vray compter,
Ce grand Berger que vous m’oyez venter
Ha tant de biens, Beufz, Vaches et Taureaux
Qu’en divers lieux il conduict ses troupeaux,
Où il luy plaist, les meine jour en jour,
En y faisant ou bref, ou long sejour.
Doncques ce lieu où mon addresse vint,
Me sembloit riche et illustre entre vingt.
C’estoit Anet, un des beaux lieux où j’aille,
Qui appartient à la grand Seneschalle,
Dame d’honneur, Bergere de grand preis,
Dans le cerveau de laquelle est compris
Un jugement, une belle faconde,
Qui à peine ha de valeur sa seconde.
Là les Bergers de noble race yssus,
Sont bien souvent de mes yeulx apperceus.
Au grand Berger qui domine en ce lieu,
Obeissoyent tous Bergers après Dieu :
Auprès de luy son conseil domestique,
Pour conserver l’utilité publique ;
Auprès de luy sont d’autre qualité
Bergers, qui pour garder sa dignité
Portent bastons, et entre le troupeau
Sont curieux de conserver sa peau ;
Auprès de luy Pasteurs scientifiques,
Les uns peu plus qu’autres sont magnifiques
Tant en sçavoir, doulceur, humanité,
Qu’à l’entretien de vive Charité.
Bref, il n’y ha science en ce bas Monde,
Qui au troupeau du grand Berger n’abonde.
Mais il sembloit que la sublimité,
Avoit un peu trop de mondanité :
Car argent sert pour se mettre en Campagne,
Et resister au grand Berger d’Espagne.
Et à l’esgard des exquises Bergeres
Qui là estoient, je ne vous tiendray gueres :
Advis me fut de veoir les nobles Fees
Du temps jadis, voire bien mieulx coiffées
Ces cy estoient. Leur nayve beaulté
Feroit qu’un mort seroit ressuscité.
Mais j’ay grand peur qu’en aspirant à vie,
De les aymer il luy print grand envie.
Je veis la grand’Bergere de Navarre,
Qui en sçavoir, poulse plus loing la Barre
Sur le troupeau du sexe Feminin,
De ce bas Monde ; et à son œil bening,
On congnoist tant de graces estre encloses,
Qu’on ne pourroit souhaiter plus grands choses,
Fors de la veoir, et contempler sa grace,
Qui sans mentir toutes les autres passe.
Mainte autre y ha qui de sa grace bonne,
Aux regardants un contentement donne,
Qui faict juger le cueur estre vestu
De zele honneste et louable Vertu,
Sans m’arrester à l’habit moins idoyne
Ou excessif, qui ne faict pas le Moyne,
De regarder j’estois esmerveillé,
Voyant le tout d’un œil bien esveillé,
Je n’attendoys que de venir à l’heure
Pour arrester en ce lieu ma demeure
(Comme j’ay dict) qui avois entrepris
D’aller servir un Berger de grand pris.
Pour impetrer cest octroy, je m’applique
Ou à dresser un dixain Poëtique,
Ou une Epistre en rime mesurée.
Songeant ainsi ma demeure asseurée,
Mon escripture en leur endroict est leue
Comme elegante, honeste, et resolue.
Mais si souvent Bergers vont à la chasse
Que tout espoir hors de mon cueur je chasse.
De vingt Moutons, je despens la valeur
Sans imposer la fin à mon malheur.
Le grand Berger se rue en Normandie,
Et je, povret attainct de maladie,
Laisse la suyte, et les sens bien marris
Revien garder les troupeaux à Paris,
Non sans douleur, non sans adversité,
Si un Berger haultain n’eust visité
Mon povre Esprit : certes il fut aucteur
De donner vie, au fortuné Pasteur.
C’est le Berger Henry de hault renom,
Qui par escript oyant au vray mon nom,
Et que j’avoys en l’art de Poësie
Dès si long temps mise ma fantasie,
Soubdainement son secours me donna,
Et la valeur d’un gras Beuf m’ordonna :
Car il congneut que j’estoys l’inventeur
De la Venus nouvelle, et vray autheur
Qu’avoit receu son amye exaulcée,
Un peu avant la froidure passée.
"Ha" (dis je lors) "ô Berger honnorable,
Tu m’as esté au besoing secourable,
Si te prometz que ma rurale Muse,
Dilatera ta louange diffuse :
Car je diray par œuvre Bucolique
Ta vertu haulte, et renom magnifique".
Sus donc ma Muse à ce commencement,
Que diras tu pour mon soulagement ?
Qu’escriras tu de ce noble Berger,
A qui se vient toute vertu renger ?
Cessez autheurs, du Dieu Pan la louange,
Et ne jugez mon entreprise estrange,
Si au Pasteur de Valoys tres exquis,
Plus de louange et honneur est acquis.
Pan opulent sur le mont d’Archadie,
Disoit chansons en grande melodie,
De son Flajol, de Chalemeaux rustiques,
Dont resonnoient les montaignes obliques.
Henry ayant plus de maturité,
Tient ses troupeaux en grand tranquilité,
Et les faict paistre en plantureux herbage,
Les reculant du malheureux umbrage
D’obscurité, où les Berbis repeues
De mauvais Pain, deviennent corrompues.
Bien haultement il chante les chansons,
Dont ignorants n’entendent point les sons,
Non de Flajol, ou petis Chalemeaux,
Ainsi que Pan faisoit soubs les Ormeaux,
Ains d’une voix qui est de doulceur telle,
Qu’elle produict armonie immortelle,
Voix Angelique, où de grace y ha tant,
Que tout le Peuple en est rendu content,
Voix mesurée, et au son de laquelle
Viendroit Diane, et toute sa sequelle,
Pour escouter ce Berger de grand preis,
Devant lequel Paris seroit repris,
Quand à Venus plus d’honneur il reserve,
Qu’il ne faict pas à la sage Minerve.
Venus feroit d’Adonis un eschange
A ce Berger, et ne perdroit au change,
S’il avoit veu Diane toute nue,
Il ne viendroit en hystoire congneue
Comme Acteon, Diane l’aymeroit,
Et d’Homme en Cerf ne le convertiroit :
C’est le Berger en batailles commis,
Où le soulas du grand Berger est mys ;
C’estle Berger qui tout si bien dispose,
Que le troupeau des Muses se repose
Sur son conseil, sur sa science haulte,
Où l’on ne peult trouver erreur ou faulte.
Berger sçavant, Berger bien entendu,
Plus d’huylle ayant que de vin despendu
A se munir des sublimes vertus,
Dont ses Espritz sont ornez et vestus,
C’est un Daulphin de vertu immortelle
Où se reçoit Charité eternelle ;
C’est le Pasteur en sçavoir florissant,
Dont maint troupeau luy est obeyssant ;
Pasteur humain, de tous en general,
Plus gracieu, et le plus liberal,
Qui aux Bergers de povre nation
Donne secours de bonne affection,
En supportant leurs grands necessitez,
En secourant à leurs adversitez ;
Pasteur qui sçait Berbis medeciner
Pour les garder du Tac, ne ruyner,
Ou du Farsin, et leur donner pasture,
Qui les esleve en bonne nourriture ;
Pasteur remply de sens interieur.
Quoy prevoyant nostre superieur
Berger Françoys, tant de faveur luy donne,
Que d’un vouloir de Pere il le guerdonne.
Mais pourquoy donc ne le guerdonneroit,
Et dessus tous bruit ne luy donneroit,
Veu qu’Apollo, et ses Sœurs les neuf Muses,
Viennent chanter ses louanges diffuses ?
Si vous diray toute l’occasion
Qui me provient de ceste vision.
A mon retour de ce lieu desiré
Où je m’estoys au printemps retiré,
Las de travail pour alléger ma peine,
Asseoir me vien autour d’une Fontaine :
Fontaine illustre au doulx son argentin,
Où se rengeoient les Muses du matin,
Pour se baigner aux extremes chaleurs,
Or en ce lieu appaisant mes douleurs,
Du souvenir de tant de maulx passez,
Pour refrigere à mes membres lassez
Sommeil me prent : le bruit de l’eau qui dure
Me faict long temps dormir sur la verdure,
Et en dormant mon Esprit travaillé,
Veilloit autant que s’il fust esveillé,
Advis me fut veoir Phebus et ses Sœurs,
Et n’avoir onc oy plus grands doulceurs
Que de leurs voix : et veritablement
C’estoit Phebus, qui par esbatement
Estoit venu se reposer en l’umbre
Avec ses sœurs qui neuf estoient de nombre,
Car tout soubdain (de cela suis records)
Ils ont poulsé melodieux accords.
Harpes et Lucs faisoient bien leur debvoir,
Meilleur les faict oyr que de les veoir.
Un bruit si doulx commence à m’esveiller,
Mais je faisoys semblant de sommeiller,
Craignant au vray que mon humanité,
Ne fist obstacle à leur divinité,
Entretenant faincte dormition,
Pour des accords avoir fruition.
Bien longuement ce doulx accord resonne,
Dont il estoit advis à ma personne,
Que des haultz Cieulx descendist Juppiter,
Pour aux humains sa voix faire escouter.
Cessé l’accord, dessoubs un buysson verd
Se meit Phebus, pour y estre à couvert
Avec ses sœurs les Muses, qui au près
Se vont asseoir, soubz un flori Cyprès.
Quand Apollo veit ses Sœurs en silence,
Prestes d’oyr sa diserte eloquence,
Il commença de harenguer ainsi :
"Puis que le temps nous ha conduict icy,
Mes cheres Sœurs, et que loysir avons,
De reposer au lieu que nous trouvons,
Je suis d’advis qu’en prenant tel repos
Nous alleguions solacieux propos,
Pour à l’Esprit donner allegement,
Car vous sçavez qu’il ha autre aliment
Que n’ha le corps : le corps tend de nature
A ce qui sent son umbre, et pourriture ;
Mais l’Esperit d’une autre qualité,
Ne sent sinon que sa divinité,
Dont je vous doy agreables tenir,
Qui bien sçavez l’Esprit entretenir :
Car la vertu de l’Esprit florissant,
N’est en voz cueurs jamais deperissant.
L’une ha le Luc divinement apris,
L’autre le son de la Harpe compris,
L’autre sçait tant de secretz de Musique
Que sa voix semble une voix Angelique,
L’une est parfaicte en l’art de Poësie,
Es livres Sainctz l’autre ha sa fantasie.
Bref, je ne sçay de vous mes Sœurs aucune,
Que Dieu n’ait plus aprise, que Fortune.
Quant est de moy, par ma dexterité
Je sçay assez ce que j’ay merité :
Car premier suis autheur de medecine,
Si qu’il n’y ha Fleur, Herbe ne Racine,
Dont je ne sache amplement la vertu.
Puis, de sçavoir j’ay l’Esprit revestu :
Non de sçavoir d’humaine invention,
Qui sent son Scribe, et sa tradition,
Comme jadis durant mon ignorance,
Ains de sçavoir qui vient en asseurance
D’hommes bien nez : sçavoir Evangelique,
Prophetisé en la Loy Mosaïque.
C’est le sçavoir (mes Sœurs) duquel munies
Vous parviendrez aux joyes infinies ;
C’est le sçavoir du Filz de Dieu unique,
Vray ennemy d’un Gentil ou Ethnique ;
Sçavoir divin qu’il vous fault embrasser,
Et le sçavoir terrestre delaisser.
Parquoy vous pry par amour Fraternelle
De le louer de louange eternelle,
Et ce pendant si sur le Luc, ou Harpe,
Une chanson lascive vous eschappe,
Obliez la ; puis le Luc entonnez,
D’autre chanson, pour nous rendre estonnez :
C’est à sçavoir de chanson plus estrange,
Ou de Dieu soit comprise la louange,
De ses haulz faictz vostre langue empeschée
De sa bonté l’excellence preschée.
Pour, s’il y ha quelque Berger terrestre,
Que vray Pasteur vous puissiez recongnoistre,
Comme aymant Dieu, et sa parolle Saincte,
Dedans voz cueurs ne soit sa grace estaincte.
En sa louange annoncez un Cantique,
Faictes de luy une œuvre Bucolique :
Car c’est raison (s’il ha quelque valeur)
Qu’il soit depainct de sa vive couleur".
Ainsi disoit Phebus prudent et sage.
Gracieux fut aux Muses son langage,
Tant pour l’amour que chascune luy porte,
Que par la voix Saincte qui les transporte
A obeyr. Lors, chascune s’advance
A tous ses dictz porter obeyssance,
Aux livres Sainctz chascune se retire,
Voyant raison qui à cela l’inspire ;
Puis d’instruments doulx et melodieux,
Ont faict aller le son jusques aux Cieulx,
Non de chanson prophane accoustumée,
Mais de chanson divine, et exprimée
Es livres Sainctz, où Clio d’un grand sens
L’avoit choysie entre propos cinq cens.
Ceste chanson agreable fut tant
A Apollo, qu’il est rendu content.
Lors Erato de son lieu s’esbranla,
Et à Phebus, et Sœurs ainsi parla :
"Puis qu’en ce lieu nous sommes descendues,
Pour en conseil toutes estre entendues,
Par Apollo nostre frere sçavant,
Qui en ha mys le moyen si avant,
Il est besoing entre nous adviser,
Celuy Pasteur digne d’auctoriser
Sur tous Bergers, si que pour ses merites,
Il ait honneur de toutes les Charites.
Quant est de moy, celuy que j’auctorise
Est digne assez que chascune le prise :
Car de tout temps, voire dès son enfance,
Il n’a commis vers nous faulte, ou offense,
Ains florissant en doctrine et sçavoir,
Sa grand bonté nous ha faict à sçavoir.
Si vous voulez sçavoir quel est son nom,
C’est le Berger Henry de hault renom,
Le plus parfaict de la France honnorée,
Où Pallas est à Venus preferée.
Helas, mes Sœurs, si vostre jugement
Prent sa louenge à son commencement,
Vous trouverez que sa noble origine,
Le faict florir jusques à la racine.
Et en laissant l’evidente noblesse,
Qui sent sa grace et haulte gentilesse,
Depuis le temps de sa jeunesse tendre,
Il ha voulu tant de lettres comprendre,
Que je ne sçay qui puisse mettre obstacle,
Que ce ne soit en ce Monde un miracle.
En ce sçavoir qui tant le faict florir,
Il ha troupeaux assez pour secourir
Les indigents, qui se viennent renger
A ce tant noble et illustre Berger.
O quel plaisir d’avoir l’experience
D’un tel Pasteur ! qui donne l’asseurance
De son sçavoir ; qui scait en la saison
Fumer les champs et donner guerison
A ses troupeaux de galle ou tac couverts,
Ou quand Berbis ont le col de travers,
O quel soulas de le veoir deplanter
Arbres pourris, et Arbrisseaux planter,
Les arrosant non d’une eau corrompue
Mais claire, estant de vive Foy repeue !
Depuis que j’eus de ce Berger notice,
De son sçavoir, et de son exercice
En Bergerie accomply, et si grand
Qu’il est tout autre en honneur denigrant,
Dedans mon cueur j’avoys ceste pensée,
Que quelque jour seroit recompensée
Sa vertu haulte, et qu’en telle bonté
Par luy seroit l’Aigle noir surmonté.
Je congnoissois à sa lineature,
Qu’il estoit plein de divine nature :
Car le voyant des lettres amoureux,
D’entretenir Charité curieux,
J’appercevoys (le tout bien limité)
Qu’il estoit plein de magnanimité,
Dont plusieurs foys ceste grace congneue,
A ce Berger de Valloys advenue,
J’ay employé mon art et mes espritz
Faire une Eglogue où il seroit compris,
Pour le depaindre au vif de ses couleurs.
Petis Bergers qui sentez des douleurs
Par povreté, ou qui avez souffrance
Par vostre Esprit qui vit en ignorance,
Cessez ce deuil, reprenez bon courage,
A l’entretien du rural labourage :
Car ce Berger oyant vostre malheur,
Imposera la fin à la douleur.
Du laict recent voz corps sustentera,
Et voz Espritz si bien confortera
De sa doulceur, qu’il fauldra que s’appaise
Vostre douleur, sans plus sentir malaise.
Arriere ceulx qui sentent leur Levain
D’iniquité, prenant la lettre en vain !
Car de ceux là, celluy que je vous compte
Ne prent pitié, et jamais ne tient compte :
Car tout ainsi qu’il ayme Verité,
Semblablement il est d’obscurité
Vray ennemy, et de l’Hypocrisie
Entremeslée au scisme d’Heresie.
Mais (au contraire) aux annonciateurs
De verité, et de Dieu amateurs
Il est bening, tranquile, et cordial,
Les secourant d’un cueur noble et Royal.
O qu’il plaisoit à la chaste Pallas,
Lors qu’en ce lieu prenant joye et soulas
Elle apperceut ce Berger à la chasse !
Entre plusieurs icelle le pourchasse,
Et pour courir un peu plus dextrement
Elle laissa ses armes promptement :
Car elle estoit de son amour astraincte,
Dont elle fut d’ainsi courir contraincte.
Mais n’entendez (mes Sœurs) en cest endroict,
Que ceste amour fust salle et contre droict :
Ce n’estoit pas une amour de Venus,
Dont amants sont enragez devenus ;
Ce n’estoit pas un feu de Cupido,
Qui feit brusler Aenas, et Dido,
Car en nul temps la prudente Minerve
Villaine amour en son cueur ne reserve ;
Mais ceste amour qui la contrainct poursuyvre
Ce beau Berger, c’estoit pour tousjours vivre
Avecques luy en doulce privaulté,
Et de sçavoir juste communaulté,
En luy disant qu’elle vouloit apprendre
De luy, combien qu’on peult assez entendre,
Que de sçavoir elle est maistresse et Dame,
Le proposant aymer de corps, et d’Ame.
Cela je veis estant soubz un Cyprès,
Et que Pallas le poursuyvoit de près.
Henry adonc noble Berger s’encline,
De saluer la Dame de doctrine.
Et de ce temps il ha tousjours aymée
Dame Pallas, et au cueur imprimée,
Mesmes tous ceulx qui par loyal office,
Sont de Pallas bataillans soubs la lice.
Jugez par là si aucune est ma faulte
De le louer de louange si haulte.
Jugez par là si sa sublimité,
Sur tous Pasteurs le bruit n’a merité.
Et si je suis digne d’estre reprise,
Blasmez adonc toute mon entreprise".
Quand Erato eut la fin imposée
A sa harangue en raison disposée,
Ainsi respond des Muses le surplus,
"Vous dictes vray ma sœur, n’en parlez plus".
Et à ce mot Clio, sœur de ce nombre,
S’en va cueillir un chappelet en l’umbre.
De mille fleurs ha faict ce chappelet,
Pris et cueilly en un lieu verdelet.
"Voicy" (dist elle) "un chappeau d’excellence,
Pour ce Berger plein de haulte science :
C’est le Chappeau à jamais florissant,
Pour couronner son chef resplendissant :
Chappeau de fleurs qui ont ceste vigueur,
Que de l’hyver ne craignent la rigueur.
De ce chappeau couronné il sera,
Quand mort commune à tous le rengera
Aux champs heureux Elysiens, qu’on dict,
Où il aura un immortel credit
De Juppiter qui mesure ses faictz,
Qui sont en tout accomplis et parfaicts".
Oyant Clio, la sage Melpomene
Un bruit serain dessus son doulx Luc mene,
D’une chanson nouvellement apprise,
Où de Henry la grace estoit comprise.
Terpsichoré voyant telle faveur
Vers ce Berger, y trouva grand saveur,
Dont elle prent sa Fluste sonoreuse
Et accorda chanson si amoureuse,
Que Phebus mesme oyant un si doulx son,
Estoit contraint danser à sa chanson.
Lors Thalia d’un instrument à corde,
Avec Phebus une chanson accorde,
Où du Berger, que tant digne je tien,
Estoyt compris plus que royal maintien.
Pas moins n’en fit la belle Urania
Qui, appellant sa sœur Polymnia,
Donna envie à la sage Euterpé
D’y appeler aussi Calliopé.
Ces quatre là chantoient toutes ensemble
Divinement, dont advis il me semble,
Depuis que Pan regnoit en Archadie,
Qu’il ne fust onc si grande melodie.
En ces accords grands et melodieux
Je pris long temps plaisir soulacieux,
Jusques à tant que Phebus s’esbranla,
Et après luy la bende s’en alla.
Petis Pasteurs qui avez eu souffrance,
Suyvans le train du grand Berger de France,
Retirez vous au Berger de Valoys,
Qui est moyen que j’extolle ma voix.
Et ce pendant ne trouvez point estrange
Si ma plume ha mys icy sa louange.
Fin de l’œuvre bucolique.
Source
Copiste

Claire Sicard


ATTESTATIONS (3 éditions)

Œuvre principale dans Habert François, La nouvelle Pallas, Presentée à Monseigneur le Daulphin, par François Haber..., Lyon, Tournes Jean I de, 1545, p. 63-82

Œuvre principale dans Habert François, La nouvelle Pallas, Presentée à Monseigneur le Daulphin, par François Haber..., Lyon, Tournes Jean I de, 1547, p. 63-82

Appendice dans Habert François, Les trois nouvelles déesses. Pallas. Juno. Venus, Paris, Marnef Jeanne de (veuve Denis Janot), 1546, f. O ij r° - f. P vj v°


PERSONNES (8 citations)

dédie à Henri II (31 Mar 1519-10 Jul 1559)

évoque François Ier (12 Sep 1494-31 Mar 1547) [personne critiquée]

évoque Diane de Poitiers (1499-26 Apr 1566)

évoque Charles Quint (24 Feb 1500-21 Sep 1558)

évoque Marguerite de Navarre (11 Apr 1492-21 Dec 1549)

mentionne Henri II (31 Mar 1519-10 Jul 1559)

mentionne Diane de Poitiers (1499-26 Apr 1566)

mentionne François Ier (12 Sep 1494-31 Mar 1547)


POUR CITER CETTE FICHE

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Claire Sicard et Pascal Joubaud, Notice Texte 13438, Scripta Manent, état du : 08 décembre 2024